C'est notre dernière nuit ici : last time. On emportera rien. Le chat, si Nicole y tient à tout prix, mais moi ça ne me fait rien. Maintenant que notre coquille est détruite, qu'on est à un pas d'être partis des lieux et des objets où les jeux de l'habitude avaient tissé des toiles où faire courir des idées et des sentiments, maintenant qu'il ne reste plus rien de ça, on peut le dire sans se tromper : il n'y avait rien, IL N'Y A RIEN tout court. En vidant l'appartement, on s'est vidés. Et là on voit, on sait, avec force, comme tout nus dans la neige, que ce qu'on est vraiment c'est un vide (un vrai vide, un qui aspire, un vacuum), que ce vide garde tout le temps sa force de vide, sa faim douloureuse, que ça dévore tout à mesure, nous avec, que pour qu'il marche bien (et qu'on marche bien nous aussi) il ne faut pas qu'il soit obstrué... comme quand tu essaies de te cramponner à l'ouverture pour te garder (ta vertu, ta jeunesse, ton idéal, ta réputation, ta personnalité). On a trouvé qu'on est un vide qui se refait, que c'est ça notre sens, et on est contents.
Ce dernier paragraphe est très pédant et, qui pis est, n'a rien à voir ou presque avec ce qui a vraiment eu lieu. On était en train de déchirer nos fascicules d'Alpha, si tendrement acquis, lus, conservés, reliés. Nicole était au bord des larmes :
- La, ça y est, il nous reste plus rien...
J'ai répondu, à tout hasard, pour la rassurer :
- Voyons voyons, il nous reste... ce qu'on va faire.
- Qu'est-ce qui va rester après ce qu'on va faire... ?
- Si on le jette encore, si on s'accroche pas, si on s'en souvient même plus, il va encore rester rien. C'est-à-dire qu'il va rester encore toute la place, c'est-à-dire notre pleine