Temoignages alzheimer
«Quand les premiers signes de la maladie apparaissent, je les mets d'abord sur le compte d'une dépression. Maman, très active de nature, ne sort plus de son quartier, à Paris, où elle habite depuis 1956. Finis les bains de soleil au jardin du Luxembourg, les déjeuners avec ses amies, les courses au Bon Marché. Cette année-là, en 1995, elle se met à faire des confidences aux caissières de Prisunic, trouve chaque jour un nouveau prétexte pour passer chez un pharmacien, puis chez l'autre. Elle se plaint auprès de ses voisines que ses enfants la délaissent. Et moi qui lui téléphone matin et soir, qui l'invite à déjeuner tous les dimanches! Maman consulte des médecins à tout bout de champ - alors qu'elle soignait nos angines d'enfant avec un simple jus de citron. Elle est en plein désarroi, mais trop orgueilleuse pour l'admettre.
Jusque-là, maman avait toujours fait face. J'avais 9 ans quand mon père est mort. Elle a élevé seule ses trois enfants, est retournée au travail à 36 ans. La maladie révèle chez cette femme forte, élégante en toutes circonstances, une faille que je ne soupçonnais pas.
Je dois prendre un rendez-vous en urgence à l'hôpital.
Question du psychiatre: "Madame, où êtes-vous?" Réponse pleine d'aplomb: "Chez le dentiste." Je suis soufflée. Elle a le culot de se moquer de nous! Conclusion de l'entretien: "J'aimerais garder votre mère cette nuit." Elle: "Il n'en est pas question." Maman reste tout à fait elle-même. Fière, autoritaire. Je la ramène chez elle.
Bientôt, maman ne mange plus. Elle m'appelle dix fois en une matinée. Elle est persuadée que quelqu'un est entré chez elle. La veille de Noël, maman entre en clinique psychiatrique. A sa sortie, deux semaines plus tard, le médecin affirme que son problème n'est pas seulement psychologique et