CHAPITRE 8 : L’égoïsme, son rôle et ses formes On se pose aussi la question de savoir si on doit faire passer avant tout l’amour de soi-même ou l’amour de quelqu’un d’autre. On critique, en effet, ceux qui s’aiment eux-mêmes par-dessus tout, et on leur donne le nom d’égoïstes, en un sens péjoratif. Et on pense à la fois que l’homme pervers a pour caractère de faire tout ce qu’il fait en vue de son propre intérêt, et qu’il est d’autant plus enfoncé dans sa perversité qu’il agit davantage en égoïste (ainsi, on l’accuse de ne rien faire de lui-même)l, et qu’au contraire l’homme de bien a pour caractère de faire une chose parce qu’elle est noble, et que sa valeur morale est d’autant plus grande qu’il agit davantage pour de nobles motifs et dans l’intérêt même de son ami, laissant de côté tout avantage personnel. Mais à ces arguments les faits opposent un démenti, et ce n’est pas sans raison. Ceux qui en font un terme de réprobation appellent égoïstes ceux qui S’attribuent à eux-mêmes une part trop large dans les richesses, les honneurs ou les plaisirs du corps, tous avantages que la plupart des hommes désirent et au sujet desquels ils déploient tout leur zèle, dans l’idée que ce sont là les plus grands biens et par là même les plus disputés. Ainsi, ceux qui prennent une part excessive de ces divers avantages s’abandonnent à leurs appétits sensuels, et en général à leurs passions et à la partie irrationnelle de leur âme. Tel est d’ailleurs l’état d’esprit de la majorité des hommes, et c’est la raison pour laquelle l’épithète égoïste a été prise au sens où elle l’est elle tire sa signification du type le plus répandu, et qui n’a rien que de vil. C’est donc à juste titre qu’on réprouve les hommes qui sont égoïstes de cette façon. Que, d’autre part, ce soit seulement ceux qui s’attribuent à eux-mêmes les biens de ce genre qui sont habituellement et généralement désignés du nom d’égoïstes, c’est là un fait qui n’est pas douteux car si un homme mettait toujours son