Ô passé
La notion d’autobiographie reste complexe, variable et évolutive, d’autant qu’elle n’a pas toujours été élevée au rang de genre littéraire.
L’ouvrage d’Albert Cohen intitulé Le Livre de ma mère ne porte justement pas la mention « autobiographie » sur sa page de garde. Pourtant dans tous ses entretiens avec des journalistes et des critiques littéraires, Albert Cohen ne cesse d’affirmer le caractère purement autobiographique de ce récit qui constitue un « hommage » à sa mère morte, un témoignage sur la « majesté de l’amour » maternel reçu dans son enfance.
On peut, pour introduire les élèves à l’œuvre de cet écrivain encore trop méconnu, leur montrer des extraits de la cassette video d’Apostrophes présentée par Bernard Pivot et enregistrée au domicile d’Albert Cohen en décembre 1977 (Seuil Vision, I.N.A., 1977, 68 mn) [1] ou leur faire lire une interview journalistique facile (comme « Albert Cohen : des livres écrits par amour », propos recueillis par Jean-Jacques Brochier et Gérard Valbert, Le Magazine littéraire, n° 147, avril 1979). Dans tous ses entretiens, l’écrivain revient sur la figure idéale de sa mère, et feint d’improviser des évocations de son enfance qui reprennent presque mot pour mot les descriptions et les scènes du Livre de ma mère, comme s’il savait son œuvre par cœur : elle l’habite, elle le hante et il ne peut rien dire d’autre sur sa mère ou sur son enfance que ce qu’il a écrit.
D’autre part, dans la dernière œuvre d’Albert Cohen : Carnets 1978, qui se présente sous forme de journal intime, l’image de la mère s’inscrit dans la continuité de celle que développe ce premier récit publié en 1954 : l’auteur vieillissant (il a 83 ans) revient sans cesse sur son enfance entre cinq et dix ans et sur le dévouement de sa mère.
Or, Le Livre de ma mère n’est pas la première version de l’autobiographie d’Albert Cohen. Lorsque sa mère meurt (janvier 1943 à Marseille), l’écrivain en exil à Londres publie de juin 1943 à mai 1944