Titre : Manon Lescaut
Mémoires et Aventures d’un homme de qualité, 1728-1731, roman Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, 1731, roman*
L’AUTEUR
L’homme d’un chef-d’oeuvre
De l’énorme production romanesque de l’abbé Prévost, la postérité n’a retenu qu’un petit volume, l’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut. Ce récit des infortunes de deux très jeunes gens liés par une passion qui les conduit à la délinquance est une oeuvre pivot dans l’histoire du roman. Du point de vue esthétique, il signe le triomphe du roman sentimental à la première personne et ouvre la voie à Rousseau
(La Nouvelle Héloïse, 1761) par la place qu’il accorde au romanesque amoureux. En même temps, il introduit le réalisme dans le roman d’amour : pour la première fois, un écrivain présente un couple amoureux aliéné à l’argent. Pour la première fois aussi, la sexualité, dissociée de la passion, est présentée comme une valeur marchande. En complète rupture avec l’idéalisme poétique de ses prédécesseurs (Béroul et Thomas, Mme de La Fayette), l’abbé Prévost ouvre le roman sentimental à la vulgarité bourgeoise : la poursuite du confort matériel devient le moteur de l’action. Marivaux (Le Paysan parvenu, 1735) et Lesage (Gil Blas, 1715-1735), romanciers de l’arrivisme, ne sont pas loin.
Un poète du libertinage
L’abbé Prévost pose à ses lecteurs le problème de l’essence du mal. Tous les critiques s’accordent pour reconnaître à ses deux incorrigibles héros les circonstances atténuantes d’une passion invincible. Cette perspective classe le texte dans la catégorie des grands romans de la passion qui échappent au jugement moral. Mais elle s’accompagne dans ce cas d’un préjugé favorable qui atténue le caractère subversif de l’oeuvre : la jeunesse des deux héros, leur liberté dans la délinquance renvoient au lecteur une image poétisée – et très moderne – du mal. Et, surtout, le choix narratif des faux Mémoires (confession du chevalier) donne à l’oeuvre un accent de