« L’école des femmes » de Molière (1662)
Arnolphe entend épouser sa pupille, Agnès, mais celle-ci aime en secret un jeune homme, Horace. Ce dernier, qui ignore l’identité véritable du barbon (homme âgé), lui fait part des sentiments qu’éprouve Agnès à son égard. Arnolphe se retrouve seul et médite sur ce coup du sort.

ARNOLPHE. – Comme il faut devant lui que je me mortifie !
Quelle peine à cacher mon déplaisir cuisant !
Quoi ? Pour une innocente un esprit si présent !
Elle a feint d’être telle à mes yeux, la traîtresse,
Ou le diable à son âme a soufflé cette adresse.
Enfin me voilà mort par ce funeste écrit.
Je vois qu’il a, le traître empaumé son esprit,
Qu’à ma suppression il s’est ancré chez elle ;
Et c’est mon désespoir et ma peine mortelle.
Je souffre doublement dans le vol de son cœur,
Et l’amour y pâtit aussi bien que l’honneur,
J’enrage de trouver cette place usurpée,
Et j’enrage de voir ma prudence trompée.
Je n’ai qu’à laisser faire à son mauvais destin,
Que je serai vengé d’elle par elle-même ;
Mais il est bien fâcheux de perdre ce qu’on aime.
Ciel ! Puisque pour un choix j’ai tant philosophé,
Faut-il de ses appas m’être si fort coiffé !
Elle n’a ni parents, ni support, ni richesse ;
Elle trahit mes soins, mes bontés, ma tendresse ;
Et cependant je l’aime après ce lâche tour,
Jusqu’à ne me pouvoir passer de cet amour.
Sot, n’as-tu point de honte ? Ah, je crève, j’enrage,
Et je souffletterais mille fois mon visage.
Je veux entrer un peu, mais seulement pour voir
Quelle est sa contenance après un trait si noir.
Ciel, faites que mon front soit exempt de disgrâce ;
Ou bien, s’il est écrit qu’il faille que j’y passe,
Donnez-moi tout au moins, pour de tels accidents,
La constance qu’on voit à de certaines gens !

Cet extrait est issue de la pièce de théâtre « L’école des femmes », de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière. L’artiste naît en 1662 à Paris et meurt en 1673, lors de la première