A propos de sylvie de g.de nerval
Il est convenu aujourd’hui que Gérard de Nerval était un écrivain du XVIIIe siècle attardé et que le romantisme n’influença pas un pur Gaulois, traditionnel et local, qui a donné dans Sylvie une peinture naïve et fine de la vie française idéalisée. Voilà ce qu’on a fait de cet homme, qui à vingt ans traduisait Faust, allait voir Goethe à Weimar, pourvoyait le romantisme de toute son inspiration étrangère, était dès sa jeunesse sujet à des accès de folie, était finalement enfermé, avait la nostalgie de l’Orient et finissait par y partir, était trouvé pendu à la poterne d’une cour immonde, sans que, dans l’étrangeté de fréquentations et d’allures où l’avaient conduit l’excentricité de sa nature et le dérangement de son cerveau, on ait pu décider s’il s’était tué dans un accès de folie ou avait été assassiné par un de ses compagnons habituels, les deux hypothèses paraissant également plausibles ! Fou, non pas d’une folie en quelque sorte purement organique et n’influant en rien sur la nature de la pensée, comme nous en avons connu de ces fous, qui en dehors de leurs crises avaient plutôt trop de bon sens, un esprit presque trop raisonnable, trop positif, tourmenté seulement d’une mélancolie toute physique. Chez Gérard de Nerval la folie naissante et pas encore déclarée n’est qu’une sorte de subjectivisme excessif, d’importance plus grande pour ainsi dire, attachée à un rêve, à un souvenir, à la qualité personnelle de la sensation, qu’à ce que cette sensation signifie de commun à tous, de perceptible pour tous, la réalité. Et quand cette disposition artistique, la disposition qui conduit, selon l’expression de Flaubert, à ne considérer la réalité que « pour l’emploi d’une illusion à décrire », et à faire des illusions qu’on trouve du prix à décrire une sorte de réalité, finit par devenir la folie, cette folie est tellement le développement de son originalité littéraire dans ce qu’elle a d’essentiel, qu’il la décrit au fur et à mesure