Métamorphose de narcisse
A la fois tableau et texte, image et réseau métaphorique, cette oeuvre module et orchestre la donnée psychanalytique de telle manière qu'on ne sait plus duquel, de la toile ou du poème reflète l'autre. C'est la première oeuvre de l'artiste traitant du narcissisme :"Pour la première fois, un tableau et un poème surréalistes commencent l'interprétation cohérente d'un sujet irrationnel"*.
Dalí a de toute évidence emprunté ce sujet à la théorie freudienne, puisqu'en reprenant ce mythe de Narcisse, le peintre avance expressément la notion psychanalytique de "complexe". Dans ce cadre, l'adolescent hynoptisé par le désir de son propre corps devient la plus parfaite expression de l'investissement libidinal du Moi (vers 90-98).
La silhouette du jeune homme penchée sur son reflet est en net contraste avec le groupe hétérosexuel situé à l'arrière-plan, au centre du poème et de la toile. Ce groupe ou transparaît le désir latent de l 'autre sexe se profile sur le tableau en un pastiche du Quatrocentto. Son universalité est également tournée en dérision dans le poème, à travers l'énumération qui détaille tous les personnages (vers 79-84). Ce groupe adopte "les fameuses poses de l'expectation préliminaire", à savoir celle de l'attente érotique qui annonce l'acte sexuel. Si la consommation de l'amour se donne comme un bouleversement et un désastre, c'est parce qu'elle laisse libre cours à l'expression d'une violence antique: elle autorise "l'éclosion carnivore de latents atavismes morphologiques" **. En effet, le poème renvoie de manière latente à la mante religieuse qui dévore le mâle après la copulation. L'acte sexuel s'associe donc à l'angoisse. Il s'oppose à la délicate poésie du fragment qui ramène Narcisse frileusement relié sur lui-même. Cependant, Narcisse fidèle à sa destinée mythique, fond et disparaît dans son propre