Montesqieu - éloge de la sincérité
Les moyens qu’ils donnaient pour y parvenir rendaient le précepte inutile : ils voulaient qu’on s’examinât sans cesse, comme si on pouvait se connaître en s’examinant.
Les hommes se regardent de trop près pour se voir tels qu’ils sont. Comme ils n’aperçoivent leurs vertus et leurs vices qu’au travers de l’amour-propre, qui embellit tout, ils sont toujours d’eux-mêmes des témoins infidèles et des juges corrompus.
Ainsi, ceux-là étaient bien plus sages qui, connaissant combien les hommes sont naturellement éloignés de la vérité, faisaient consister toute la sagesse à la leur dire. Belle philosophie, qui ne se bornait point à des connaissances spéculatives, mais à l’exercice de la sincérité ! Plus belle encore, si
MONTESQUIEU –4– quelques esprits faux1 qui la poussèrent trop loin, n’avaient pas outré la raison même, et, par un raffinement de liberté, n’avaient choqué toutes les bienséances.
Dans le dessein que j’ai entrepris, je ne puis m’empêcher de faire une espèce de retour sur moi-même. Je sens une satisfaction secrète d’être obligé de faire l’éloge d’une vertu que je chéris, de trouver, dans mon propre cœur, de quoi suppléer à l’insuffisance de mon esprit, d’être le peintre, après avoir travaillé toute ma vie à être le portrait, et de parler enfin d’une vertu qui fait l’honnête homme dans la vie privée et le héros dans le commerce des grands.
I. DE LA SINCÉRITÉ PAR RAPPORT A LA VIE PRIVÉE Les hommes, vivant dans la société, n’ont point eu cet avantage sur les bêtes pour se procurer les moyens de vivre plus délicieusement. Dieu a voulu qu’ils vécussent en