Louis-sébastien mercier
Si l'on ne défend point aux femmes la musique, la peinture, le dessin, pourquoi leur interdirait-on la littérature? Ce serait dans l'homme une jalousie honteuse que de repousser la femme dans l'ignorance, qui est un défaut avilissant. Quand un être sensible a reçu de la Nature une imagination vive, comment lui ravir le droit d'en disposer à son gré?
Mais voici le danger. L'homme redoute toujours dans la femme une supériorité quelconque; il veut qu'elle ne jouisse que de la moitié de son être. Il chérit la modestie de la femme; disons mieux, son humilité, comme le plus beau de tous ses traits; et comme la femme a plus d'esprits naturel que l'homme, celui-ci n'aime point cette facilité de voir, cette pénétration. Il craint qu'elle n'aperçoive en lui tous ses vices et surtout ses défauts.
Dès que les femmes publient leurs ouvrages, elles ont d'abord contre elles la plus grande partie de leur sexe, et bientôt presque tous les hommes. L'homme aimera toujours mieux la beauté d'une femme que son esprit; car tout le monde peut jouir de celui-ci. L'homme voudra bien que la femme possède assez d'esprit pour l'entendre, mais point qu'elle s'élève trop, jusqu'à vouloir rivaliser avec lui et montrer égalité de talent, tandis que l'homme exige pour son propre compte, un tribut journalier d'admiration.
[...]
Ainsi à travers tous les compliments dont l'homme accable la femme, il craint ses succès; il craint que sa fierté n'en augmente et ne mette un double prix à ses regards.
L'homme veut subjuguer la femme tout entière, et ne lui permet une célébrité particulière, que quand c'est lui qui l'annonce et qui la confirme. Il consent bien qu'elle ait de la réputation, pourvu qu'on l'en croie le premier juge et le plus