Lenau, dom juam
DIEGUE. — Notre père m’envoie pour que je te demande comment tu passes ici le temps de ta jeunesse, ce temps fugitif qui pour toi ne reviendra jamais, et si tu l’emploies pour t’obtenir gloire et honneur.
DON JUAN rit. —Tu fais l’espion et le prédicateur ? Je vais me soumettre ; pour que ton voyage ne soit pas en vain, tu pourras me suivre comme aumônier de campagne pendant mes joyeuses tournées conquérantes.
DIEGUE. — Mon frère, que notre premier revoir ne se poursuive pas en plaisanteries futiles. Toi, le chéri de mon père, n’agis pas en fou ! Dis-moi un mot de réconfort, qu’as-tu donc en vue ?
DON JUAN. — Ce cercle enchanté, immensément grand, de beautés féminines aux charmes multiples, je voudrais le parcourir dans le tumulte de la jouissance, et sur les lèvres de la dernière mourir d’un baiser. Ami, je voudrais traverser au vol tous les espaces où s’épanouit une belle femme, ployer le genou devant chacune et vaincre, ne fût-ce que quelques instants. Eh oui ! je pars en guerre même contre le temps. Si j’aperçois quelque enfant délicieuse, il me faut gronder contre le sort de ce qu’elle et moi, nous ne sommes pas du même âge. Je me fais l’effet d’un vieillard jusqu’à ce que sa fleur soit éclose. Et si je vois quelque imposante matrone, dont des vieux encore tout ravis redisent : « Elle était charmante jadis, de toute beauté reine ! », je vou¬drais alors vivre aux temps passés. Je voudrais confondre l’espace et le temps, car la passion est effrénée et exubérante. C’est parce qu’elle est dévorée de la soif de l’étemel que vous la voyez si fugace et si passagère. Parfois aussi je me sens d’humeur étrange, comme si ce qui me parcourt les veines, pris à quelque domaine étranger et supérieur, était quelque esprit égaré et perdu dans mon sang, un batelier