Le Liseur
Titre : Le Liseur (1995) traduit de l'allemand en 1996.
Auteur : Bernard Schlink
Editeur : Gallimard, collection Folio.
Remarque : Adapté au petit écran en 2008 sous le même nom.
Extrait : page 36-37-38
« C'est la nuit suivante que je tombai amoureux d'elle. Je ne dormis pas profondément. J'avais d'être près d'elle, je rêvais d'elle, je croyais la sentir contre moi, puis je m'apercevais que je tenais l'oreiller ou la couette. Nos baisers m'avaient laissé la bouche endolorie. J'avais sans cesse des érections, mais je ne voulais pas me masturber. Je ne me masturberais plus jamais. Je voulais être avec elle.
Suis-je tomber amoureux d'elle pour la payer d'avoir couché avec moi ? Aujourd'hui encore, après une nuit avec une femme, j'ai le sentiment d'avoir été gâté et d'être en dette – envers elle, que j'essaie au moins d'aimer, et aussi envers le monde, que j'affronte.
L'un des rares souvenirs vivaces de ma petite enfance concerne un matin d'hiver, quand j'avais quatre ans. La chambre où je dormais alors n'était pas chauffée et, la nuit et le matin, il faisait souvent très froid. Je me souviens de la chaleur de la cuisine et du fourneau brûlant, une lourde cuisinière en fonte où l'on voyait le feu, quand avec un crochet en déplaçait les ronds de la plaque, et qui comportait un réservoir constamment plein d'eau chaude. Ma mère avait mis devant le fourneau une chaise sur laquelle je me tenais debout tandis qu'elle me lavait et m'habillait. Je me rappelle cette délicieuse sensation de chaleur, et le plaisir que j'éprouvai à être, dans cette chaleur, lavé et habillé. Je me souviens qu'à chaque fois que je me rappelais cette situation, je me demandais pourquoi ma mère m'avait gâté ainsi. Étais-je malade ? Mon frère et mes soeurs avaient-ils eu droit à quelque chose que je n'avais pas eu ? La suite de la journée me réservait-elle des désagréments, des difficultés que j'aurais à surmonter ?
C'est aussi parce que cette femme, dont j'ignorais le prénom,