La culture rend-elle meilleur ?
On peut considérer notre temps comme un temps de haute culture : la complexité et le raffinement de nos inventions, la somme de connaissances dans tous les domaines, ou encore l'inventivité dont la modernité fait preuve en art et en littérature peuvent en apporter le témoignage. Il n'est cependant pas dit que les hommes d'aujourd'hui soient pour autant meilleurs que ceux qui les ont précédés : le siècle qui vient de s'achever n'a-t-il pas vu se succéder deux guerres mondiales, où atrocités et barbaries semblent s'être déchaînées sur une échelle à proprement parler inouïe ? Que nous soyons devenus meilleurs dans notre maîtrise du réel − autrement dit plus efficaces − est un fait ; mais que nous soyons devenus meilleurs absolument parlant − c'est-à-dire sur le plan de la moralité −, c'est ce dont nous pouvons à bon droit douter. Alors, la culture rend-elle meilleur ?
Non seulement l'histoire humaine n'a pas mis fin aux guerres fratricides et à l'injustice, mais il semblerait qu'elle les ait rendues plus sophistiquées et plus hypocrites : aux bassesses des hommes civilisés, on serait alors tenté d'opposer la bonté de l'innocence, celle d'un homme que la société de ses semblables n'aurait pas perverti : celle d'un homme naturel, ou d'un bon sauvage. Pourtant, un tel homme en mériterait-il encore le nom ? Hors de toute culture, peut-on encore parler d'humanité ? Il nous faudra sans doute répondre à cette question par la négative : peut-être alors que la culture ne nous rend pas meilleurs, mais à tout le moins, on peut soutenir qu'elle nous rend hommes, c'est-à-dire capables du pire, sans doute, mais aussi du meilleur.
I. La culture comme processus de dégradation morale
1. L'humilité de la vertu contre l'orgueil de la culture
La question de savoir si la culture favorise ou non la moralité des mœurs ne date pas d'aujourd'hui ; en 1749, l'Académie de Dijon avait précisément mis cette question au concours en demandant « si le rétablissement des sciences