L'interprétation classique de cette fable nous informe que la fourmi triomphe sur la cigale, puisqu'elle a, au cours de l'été, préparé de quoi se nourrir tout l'hiver. C'est la chute de la cigale, sa perte. Or, on peut y voir tout autre chose puisque La Fontaine l'a laissée ouverte, c'est-à-dire qu'il n'en a pas tiré la leçon pour le lecteur. D'un côté, nous pouvons voir deux mondes s'affrontant: le monde réaliste de la fourmi et le monde lyrique, artistique de la cigale. La première vit dans la rigidité, dans le sérieux de la vie, dans la prévision et dans l'espoir d'un futur meilleur. La seconde, pour sa part, vit dans le monde de la célébration, du lyrisme, de l'art. Il faut se souvenir qu'à l'époque classique, chanter était synonyme d'oisiveté. L'opposition entre la fourmi et la cigale révèle alors bien les mœurs et pensées de l'époque de La Fontaine. C'est donc une allégorie du travail et de la paresse. Pour la cigale, l'art et la vie sont la même chose, mais cette vision du monde, cette osmose n'est possible que si l'été dure toute l'année. Or, il n'en est pas ainsi. Il y a une réalité dans cette fable à laquelle on ne peut échapper: celle du temps. La cigale n'entrevoit pas le futur comme le fait la fourmi. Elle n'accorde aucune importance au temps, elle ne fait que célébrer le moment. Elle méprise le temps et paiera par le temps. Lorsqu'elle se confesse à la fourmi d'avoir chanté tout l'été, elle est nostalgique de ce moment révolu et, ironiquement, la fourmi la renvoie à ce passé mythique, à cette illusion qu'est l'éternité de l'été, ce paradis perdu. L'envoyer danser est une façon polie de lui signaler qu'elle n'avait qu'à veiller à son affaire. La fourmi, vivant dans le présent en vue d'un futur, ne peut qu'agir ainsi devant la cigale. La fourmi vit dans l'austérité, la préparation et la privation du plaisir que la cigale se permet continuellement. Sa réponse est cruelle, certes, mais elle est aussi triomphante, méprisante, vaniteuse, voire même jalouse