Jean de la fontain: ane et le chien
Il se faut entr'aider, c'est la loi de nature : L'Ane un jour pourtant s'en moqua : Et ne sais comme il y manqua ; Car il est bonne créature. Il allait par pays accompagné du Chien, Gravement, sans songer à rien, Tous deux suivis d'un commun maître. Ce maître s'endormit : l'Ane se mit à paître : Il était alors dans un pré, Dont l'herbe était fort à son gré. Point de chardons pourtant ; il s'en passa pour l'heure : Il ne faut pas toujours être si délicat ; Et faute de servir ce plat Rarement un festin demeure. Notre Baudet s'en sut enfin Passer pour cette fois. Le Chien mourant de faim Lui dit : Cher compagnon, baisse-toi, je te prie ; Je prendrai mon dîné dans le panier au pain. Point de réponse, mot ; le Roussin d'Arcadie Craignit qu'en perdant un moment, Il ne perdît un coup de dent. Il fit longtemps la sourde oreille : Enfin il répondit : Ami, je te conseille D'attendre que ton maître ait fini son sommeil ; Car il te donnera sans faute à son réveil, Ta portion accoutumée. Il ne saurait tarder beaucoup. Sur ces entrefaites un Loup Sort du bois, et s'en vient ; autre bête affamée. L'Ane appelle aussitôt le Chien à son secours. Le Chien ne bouge, et dit : Ami, je te conseille De fuir, en attendant que ton maître s'éveille ; Il ne saurait tarder ; détale vite, et cours. Que si ce Loup t'atteint, casse-lui la mâchoire. On t'a ferré de neuf ; et si tu me veux croire, Tu l'étendras tout plat. Pendant ce beau discours Seigneur Loup étrangla le Baudet sans remède. Je conclus qu'il faut qu'on s'entr'aide.
Gustave Doré
Source : Abstémius, Du Chien qui ne vint pas en aide à l'Ane contre le Loup parce que l'Ane ne lui avait pas donné de pain, 109. Remarque : Un dogue assez fort pour vaincre non seulement des loups mais encore des ours avait fait une longue route avec un âne qui portait un sac plein de pain. Chemin faisant, l'appétit vint. L'âne, trouvant un pré, remplit abondamment son ventre d'herbes