L'étranger d'albert camus la tragédie
Sans doute, le développement du rationalisme scientifique, à partir du milieu du XIXe siècle, rend-il improbable la croyance, somme toute mystique, en une force transcendante et mystérieuse qui réglerait nos vies individuelles.
Mais à la fatalité antique s'est substituée une fatalité moderne, qui prétend parfois avoir des bases scientifiques: c'est ainsi que les romans du cycle des Rougon-Macquart, de Zola, expriment une variante du tragique. C'est le principe de l'hérédité auquel s'intéressait beaucoup la médecine de l'époque, qui joue, pour les personnages de Zola, le rôle de la fatalité. De même que, dans la mythologie grecque; la malédiction d'Atrée se transmettait à tous les Atrides, ses descendants (parmi lesquels Agamemnon, Electre, Oreste), ce sont les tares congénitales causées par l'alcoolisme que la famille de Gervaise, l'héroïne de L'Assommoir, se transmet de génération en génération. Quelle que soit leur bonne volonté, le « poison » que les enfants ont hérité des parents finira par entraîner leur perte.
Même si l'issue finale n'est pas catastrophique, le tragique moderne se trouve dans toute expérience qui révèle, de façon douloureuse et désespérante, la fragilité et la misère de la condition humaine. Ce n'est pas un hasard si Ionesco a défini sa pièce. absurde La Cantatrice chauve comme une « tragédie du langage ». Censé véhiculer ce qui fonde la supériorité de l'homme sur l'animal, à savoir la raison, le langage logique est littéralement désarticulé dans cette pièce, où l'on voit un quatuor de personnages échanger des propos incohérents ou des platitudes grotesques telles que « le plafond est en haut, le plancher est en bas ». L'impuissance de la raison humaine est ainsi reflétée dans le naufrage des mots. En somme, le tragique peut être produit par tout ce qui montre à l'homme qu'il ne peut pas contrôler sa vie: le temps, les déterminismes biologiques, voire les conventions sociales, qui se retournent contre l'individu.