L'autoroute
Au même titre que les tours de Hong Kong, les veaux de batterie ou les experts itinérants de multinationales, l'autoroute est un système « hors-sol », clos sur lui-même et donc totalement dissocié de l'espace extérieur dans lequel il ne s'insère qu'en apparence. Les rapports à cet espace ambiant, les proximités, les distances, les orientations sont illusoires et factices ; on croit passer au ras d'un village ou d'un canal qui sont pourtant inaccessibles sinon au prix de détours rebutants. Le paysage traversé n'est plus qu'un décor que signalent de puérils panneaux codés : un gland pour une forêt, un créneau pour un château médiéval. Mis à part ce décor, les contacts entre la nature et le ruban de béton se limitent à quelques implants, à quelques simulacres destinés à « paysager » ce dernier. La fonction de l'autoroute est d'assurer un déplacement en comprimant le temps au maximum ; la relation avec l'itinéraire disparaît. [...]
L'autoroute n'existe que comme ensemble de circuits et de flux, qui prolongent et organisent ceux de notre société elle-même ; elle assure une fluidité des transports de marchandises supposée supérieure à celle des trains ; elle reproduit et organise la pendularité (1) des activités humaines au travail et hors travail. [...]
Mais ces flux collectifs grégaires ne sont que les conglomérats de solitudes, encastrées dans des boîtes métalliques en mouvement. L'autoroute, c'est le degré zéro de la sociabilité : chacun subit individuellement les contraintes communes du système, chacun prolonge sur l'autoroute les impératifs de vitesse et les tensions nerveuses imposées par le travail et la vie qu'on est censé fuir.
Une fois engagé, l'usager est complètement prisonnier de la rigidité de l'autoroute ; il n'a plus qu'à obéir à ses injonctions binaires élémentaires : bifurquer
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