L'adolescence
Paru dans la revue "Cultures en mouvement"
En ce temps-là j’étais en mon adolescence
J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J’étais à seize mille lieues du lieu de ma naissance
J’étais à Moscou, dans le ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était alors si ardente et si folle
Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le temple d’Ephèse
Ou comme la Place Rouge de Moscou
Quand le soleil se couche
Et mes yeux éclairaient des voies anciennes
Et j’étais déjà si mauvais poète
Que je ne savais pas aller jusqu’au bout
Blaise Cendrars. La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, 1913.
Cendrars, qui ne porte pas encore ce nom, a 16 ans. Il s’ennuie ferme dans sa famille sise près du lac de Neuchâtel. Un soir plus agité que les autres, où son père lui reproche ses dettes dans les bistrots et les librairies, il noue les draps de son lit et s’enfuit par la fenêtre.
Nous sommes en 1905. Il part en Russie. Là il apprend aussi bien l’écriture cunéiforme auprès d’un vieux moine, que la légende de Novgorod, ou encore le maniement des armes. Il rencontre un joaillier qui veut le marier de force à sa fille. Il s’enfuit à nouveau par le transsibérien.
Ce sont les premiers massacres de la pré-révolution. La mort rode. Il traverse la mort. Il ne reviendra pas. Celui qui prend le nom de Cendrars, - Blaise pour " braise ", Cendrars pour " cendres "- tiré des cendres encore fumantes de son enfance, est né d’une rupture :
Foutez mon enfance par terre
Ma famille et mes habitudes
Mettez une gare à la place
Ou laissez un terrain vague
Qui dégage mon origine
(Au cœur du monde, 1917)
Moment de rupture, prise de risque, l’adolescence est bien ce moment singulier où un sujet qui jusque là s’est construit contre , et parfois tout contre, les totems et les tabous parentaux, va se faire