A une passante

662 mots 3 pages
En évoquant un avenir dans une proposition circonstancielle de temps commençant par «Lorsque tu dormiras», Baudelaire s’adresse à une femme qu’il tutoie, ce qui indique le lien (connivence, proximité) qui l’unit à elle. Il l’appelle «ma belle ténébreuse», ce qui n’est pas tant la féminisation de l’expression traditionnelle, «un beau ténébreux», par laquelle on désigne un bel homme à l’air mystérieux et mélancolique, qu’une allusion à la peau et à la chevelure noires de Jeanne Duval (cette Haïtienne était «brune comme les nuits» [‘’Sed non satiata’’]), et à son caractère ombrageux ; enfin, est ainsi annoncée la mort.
Celle-ci peut se lire au vers 2, où est produit un effet baroque de surprise, car l’évocation du sommeil de cette femme se révèle être un euphémisme faisant de la mort une forme de repos, de paix. Première punition qui lui est infligée, son sommeil aura lieu «Au fond d’un monument», la mort étant enfouissement et écrasement sous le poids d’un tombeau qui est «construit en marbre noir», pierre noble d’une beauté majestueuse et d’une grande richesse, qui signifie aussi, avec le deuil, la froideur que Baudelaire reprochait à sa «belle ténébreuse».
Au vers 3, se branche une deuxième proposition temporelle qui, avec «Et lorsque» et un nouveau futur, est la reprise en parallèle de la première. Le poète attribue alors à cette femme «alcôve et manoir», la fréquentation de la première (lieu voué à l’activité sexuelle, cette femme étant d’ailleurs plus loin qualifiée de «courtisane») permettant l’acquisition du second. Mais l’enjambement du vers 3 au vers 4 ménage la surprise, déjà sous-jacente dans le rétrécissement d’un «n’» qui doit être suivi d’un «que», qu’apporte le vers 4.
En fait, atroce réalité funèbre, cette femme n’aura, puisqu’elle est morte, «Qu’un caveau» et «qu’une fosse», deux mots qui, avec «alcôve et manoir», forment un chiasme. Et que le «caveau» soit «pluvieux» et la «fosse» «creuse» vient contredire cruellement la magnificence du vers 2,

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