Voyage de gulliver
"Le principal but que je me propose dans tous mes travaux est de vexer le monde plutôt que de le divertir... Voilà la grande base de misanthropie sur laquelle j'ai élevé tout l'édifice de mes Voyages."
C'est, en effet, la faiblesse, la vanité de ses semblables que Swift a voulu faire ressortir dans une fiction aussi ingénieuse que hardie; en conduisant successivement son héros chez un peuple de pygmées et chez un peuple de géants, il le place dans des situations et des embarras où la misère humaine apparaît sous le jour le plus ridicule, et il fait jaillir de cette combinaison une foule de contrastes inattendus et de comiques effets.
Le voyage à Lilliput, a dit Walter Scott, est une allusion à la cour et à la politique de l'Angleterre; sir Robert Walpole est peint dans le caractère du premier ministre Flimnap. Les factions des tories et des whigs sont désignées par les factions des talons hauts et des talons plats; les petits boutiens et les gros boutiens sont les papistes et les protestants. Le prince de Galles, qui traitait également bien les whigs et les tories, est peint dans le personnage de l'héritier présomptif, qui porte un talon haut et un talon plat. Bléfuscu est la France, où Ormond et Bolingbroke avaient été obligés de se réfugier.
Dans le voyage à Brobdingnag, la satire est d'une application plus générale: c'est un jugement des actions et des sentiments des hommes porté par des êtres d'une force immense, et en même temps d'un caractère froid, réfléchi et philosophique. Les mêmes idées reviennent nécessairement; mais, comme elles sont renversées dans le rôle que joue le narrateur, c'est plutôt un développement qu'une