Voyage autour de ma chambre
Qu'il est glorieux d'ouvrir une nouvelle carrière, et de paraître tout à coup dans le monde savant, un livre de découvertes à la main, comme une comète inattendue étincelle dans l'espace !
Non, je ne tiendrai plus mon livre in petto ; le voilà, messieurs, lisez. J'ai entrepris et exécuté un voyage de quarante-deux jours autour de ma chambre.
Les observations intéressantes que j'ai faites, et le plaisir continuel que j'ai éprouvé le long du chemin, me faisaient désirer de le rendre public ; la certitude d'être utile m'y a décidé.
Mon coeur éprouve une satisfaction inexprimable lorsque je pense au nombre infini de malheureux auxquels j'offre une ressource assurée contre l'ennui, et un adoucissement aux maux qu'ils endurent.
Le plaisir qu'on trouve à voyager dans sa chambre est à l'abri de la jalousie inquiète des hommes ; il est indépendant de la fortune.
Est-il, en effet, d'être assez malheureux, assez abandonné, pour n'avoir pas un réduit où il puisse se retirer et se cacher à tout le monde ?
Voilà tous les apprêts du voyage.
Je suis sur que tout homme sensé adoptera mon système, de quelque caractère qu'il puisse être, et quel que soit son tempérament ; qu'il soit avare ou prodigue, riche ou pauvre, jeune ou vieux, né sous la zone torride ou près du pôle, il peut voyager comme moi ; enfin, dans l'immense famille des hommes qui fourmillent sur la surface de la terre, il n'en est pas un seul - non, pas un seul (j'entends, de ceux qui habitent des chambres) - qui puisse, après avoir lu ce livre, refuser son approbation à la nouvelle manière de voyager que j'introduis dans le monde.
CHAPITRE II
Je pourrais commencer l'éloge de mon voyage par dire qu'il ne m'a rien coûté ; cet article mérite attention. Le voilà d'abord prôné, fêté par les gens d'une fortune médiocre ; il est une autre classe d'hommes auprès de laquelle il est encore plus sûr d'un heureux succès, par cette même raison qu'il ne coûte rien. - Auprès de qui donc ?