Georges Vigarello est historien et philosophe, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Ses travaux portent sur l’histoire de l’hygiène, de la santé, des pratiques corporelles et des représentations du corps. Il s’interroge les représentations et les pratiques pour en révéler les variations historiques, et par conséquent les changements de culture et de société. Au XVIe siècle, le jeu est présent dans les sociétés européennes mais reste marginal car il est l’expression du corps et de la chair, par opposition à la noblesse de l’esprit. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que le sport perd sa connotation péjorative. Il s’affirme comme un loisir, par opposition au labeur quotidien ; il permet une nouvelle conception du corps, devenu efficace et productif. Le sport devient un nouvel espace d’héroïsation, il se cherche à la fois une morale et une transcendance. Une contre-société sportive prend forme, autour de nouveaux idéaux d’effort et de loyauté. La convergence avec la société des médias de cette nouvelle société sportive est parfaite au XXe siècle, que l’on observe l’éternel renouveau des résultats sportifs et des repères, ou le rythme soutenu des compétitions qui entraîne le vertige des enjeux et de la violence. La société sportive n’atteint pas ces idéaux et, en cela, elle fonctionne comme le révélateur de nos propres sociétés.
Le jeu est considéré jusqu’au XVIIIe siècle comme une passion charnelle, un oubli de soi, et c’est pourquoi il n’est pas jugé utile de la théoriser. Généralement dénué de règles précises, il repose plutôt sur des habitudes et des pratiques locales. Il cristallise les oppositions sociales et géographiques au lieu de les transcender. Dans la noblesse française de cette époque, le tournoi et la joute restent avant tout de violents simulacres de combat sans règles fixées. Face aux dangers que ces jeux présentent, leur pratique est progressivement abandonnée pour laisser place à une nouvelle conception du jeu :