Vies minuscules
Pierre Michon, vous parlez de l'écriture comme d'une grâce. De la grâce à l'inspiration il n'y a qu'un pas...
Oui, un texte ne peut que me sembler dicté. Je m'installe à mon bureau tous les matins pour être prêt à recevoir le texte. Je ne crois pas du tout à l'inspiration, mais je m'y fie, et je m'y fie parce que ça marche. Finalement je n'ai rien contre la théorie de l'inspiration. Il faut seulement être très vigilant au niveau du sens, il faut que l'être moral reste éveillé, attentif, mais il faut se laisser guider par l'émotion. La réussite c'est l'équilibre entre la vigilance et l'émotion.
En tout cas, il ne faut pas que l'écriture soit un travail. Je n'ai jamais voulu travailler.
Concrètement comment se passe l'écriture?
Pour écrire, il y a six mois d'attente, de maturation et, à peu près trois semaines d'écriture proprement dite. Il y a sûrement beaucoup de gens qui travaillent ainsi.
Mon premier jet est écrit au crayon à papier. Je le compose en laissant des blancs dans le texte, pour marquer le rythme, les mots viendront après, c'est comme une partition. Cette écriture se fait très vite, généralement le matin entre 6 et 9 heures. Il ne faut pas trop revenir dessus. Il faut suer sang et eau mais très vite. C'est une excitation, c'est un speed.
Après les Vies minuscules vous avez eu l'impression que tout était dit. Puis, quatre ans plus tard, vous avez écrit Vie de Jospeh Roulin. Vous n'avez pas peur que certains disent : "Pierre Michon c'est toujours pareil"?
Si quelqu'un dit cela, ça gênera l'homme vaniteux en moi. Je ne sais pas. Tout ça a peu de rapport avec l'être en moi qui écrit; ça a à voir avec mon être social, pas avec l'être qui écrit. D'ailleurs c'est vrai, j'ai tout dit déjà.
Nathalie Sarraute, Claude Simon, ils sont nombreux, ces