TEXTE 1 MONTAIGNE
Montaigne consacre un court chapitre de ses essais au phénomène de monstres et apporte ainsi une contribution essentielle à un débat en vogue au XVIème siècle. Ambroise Paré a en effet parlé des monstres dans ses ouvrages. Il y voit « le plus souvent [des] signes de quelque malheur advenir ». À la différence de Montaigne, qui considère que tout monstre peut avoir une explication naturelle, même si nous ne la trouvons pas du fait de l’insuffisance de notre raison ou de notre expérience.
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Je vis avant-hier un enfant que deux hommes et une nourrice, qui se disaient être le père, l’oncle et la tante, conduisaient pour le montrer à cause de son étrangeté et pour en tirer quelque sou. Il était pour tout le reste d’une forme ordinaire et il se soutenait sur ses pieds, marchait et gazouillait à peu près comme les autres enfants de même âge. […] ; ses cris semblaient bien avoir quelque chose de particulier ; il était âgé de quatorze mois tout juste. Au-dessous de ses tétins, il était attaché et collé à un autre enfant sans tête et qui avait le canal du dos bouché, le reste intact, car s’il avait un bras plus court que l’autre, c’est qu’il lui avait été cassé accidentellement à leur naissance ; ils étaient joints face à face, et comme si un plus petit enfant voulait en embrasser un second1 […].
Les [êtres] que nous appelons monstres ne le sont pas pour Dieu, qui voit dans l’immensité de son ouvrage l’infinité des formes qu’il y a englobées ; et il est à croire que cette forme qui nous frappe d’étonnement se rapporte et se rattache à quelque autre forme d’un même genre, inconnu de l’homme. De sa parfaite sagesse2 il ne vient rien que de bon et d’ordinaire et de régulier ; mais nous n’en voyons pas l’arrangement3 et les rapports.
Quod crebo videt, non miratur, etiam si cur fiat nescit. Quod ante non vidit, id, si evenerit, ostentum esse censet. 4» [Ce que ( l’homme) voit fréquemment ne l’étonne pas, même s’il en ignore
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