Suite imaginée du silence de la mer
[…] Lorsque Lola, alors âgée de douze ans, lui demanda ce qu’était la guerre et comment l’avait-il vécue, il s’empressa d’abord de lui raconter son séjour chez les deux français. « Tu sais ma fille, lui dit-il, la vie là-bas n’était pas facile, tant moralement que physiquement. Heureusement, bien que je m’attendais à séjourner dans le château voisin, je fus hébergé chez une famille française bien sympathique. L’oncle, qui vivait avec sa nièce, n’était certes pas très bavard mais n’a jamais éprouvé aucun signe de méchanceté à mon égard. Je sais bien que ma présence les dérangeait. J’étais allemand, eux juifs, j’étais l’attaquant, tandis qu’eux faisaient partie des assiégés. Le jour où je m’installai chez eux, aucun d’entre eux ne m’adressa un mot. Chaque soir, j’avais pris l’habitude de leur parler du temps qu’il faisait ainsi que de ma journée avant de leur souhaiter une bonne nuit, mais ces derniers restaient muets. Tous les jours cette scène se répétait. Je parlais seul. A force, je n’attendais même plus de réponse. Jamais je n’en n’eus, d’ailleurs, jusqu’à ce que je les informe de mon départ. Ce jour-là, la nièce n’émit qu’un seul mot : ‘’Adieu’’. Ce fut le seul et unique mot que j’entendis sortir de sa bouche durant les six mois que j’avais passé auprès d’eux… Tu sais, à ce moment là, je ne connaissais pas encore ta mère, repris-t-il, la tête enfouie dans ses souvenirs. Je me permettais donc de regarder les jolies filles. La nièce, timide, baissait les yeux sur son tricot ou sur son livre à chaque fois que je m’approchais d’elle ou que j’entrais dans la même pièce. Je ne vis que son regard lorsqu’elle me dit adieu. Cette jeune fille était d’une beauté rare. Un visage parfait, une chevelure blonde, brillante et éclatante, qu’elle relevait parfois en chignon, ce qui mettait en valeur ses grands yeux bleus ornés de longs cils noirs. Son regard était d’une douceur incomparable mais il reflétait une tristesse et une angoisse