Stupeur et tremblement
Fubuki, elle, n’était ni Diable ni Dieu : c’était une japonaise. Toutes les Nippones ne sont pas belles. Mais quand l’une d’entre elles se met à être belle, les autres n’ont qu’à bien se tenir. Toute beauté est poignante, mais la beauté japonaise est plus poignante encore. D’abord parce que ce teint de lys, ces yeux suaves, ce nez aux ailes inimitables, ces lèvres aux contours si dessinés, cette douceur compliquée des traits ont déjà de quoi éclipser les visages les plus réussis. Ensuite parce que ses manières la stylisent et font d’elle une œuvre d’art inaccessible à l’entendement.
Enfin et surtout parce qu’une beauté qui a résisté à tant de corsets physiques et mentaux, à tant de contraintes, d’écrasements, d’interdits absurdes, de dogmes, d’asphyxie, de désolations, de sadisme, de conspiration du silence et d’humiliations – une telle beauté, donc, est un miracle d’héroïsme.
Non que la Nippone soit une victime, loin de là. Parmi les femmes de la planète, elle n’est vraiment pas la plus mal lotie. Son pouvoir est considérable : je suis bien placée pour le savoir.
Non : s’il faut admirer la Japonaise – et il le faut – c’est parce qu’elle ne se suicide pas. On conspire contre son idéal depuis sa plus tendre enfance. On lui coule du plâtre à l’intérieur du cerveau : « si à vingt-cinq ans tu n’es pas mariée, tu auras de bonnes raisons d’avoir honte », « si tu ris, tu ne seras pas distinguée », « si ton visage exprime un sentiment, tu es vulgaire », « Si tu mentionnes l’existence d’un poil sur ton corps, tu es immonde », « si un garçon t’embrasse sur la joue en public, tu es une putain », « si tu manges avec plaisir, tu es une truie », « Si tu éprouves du plaisir à dormir, tu es une vache », etc.
Ces préceptes seraient anecdotiques s’ils ne s’en prenaient à l’esprit. Car en fin de compte, ce qui est assené à la Nippone à travers ces dogmes incongrus, c’est qu’il ne faut rien espérer de