Rumeur de la fin de la politique, jacques rancière
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« La fin de la politique dont la rumeur court aujourd'hui toutes les rues est volontiers décrite comme la fin d'un certain temps, marqué lui-même par un certain usage du temps, l'usage de la promesse. Dans le monde gouvernemental français cette fin se laisse assez commodément symboliser par le passage du premier au second septennat socialiste. En 1981, le candidat socialiste à la Présidence avait fait cent dix promesses. Non pas cent, cent dix. L'excédent est l'essence de la promesse. En 1988, il fut réélu sans que personne lui demandât combien il en avait tenues. Au contraire, l'opinion éclairée le loua de ceci : à une exception près, sur laquelle je reviendrai, il n'en faisait plus aucune. C'est, dirent les sages, qu'en sept ans nous avions, lui et nous, changé de siècle. Nous abandonnions le " poussiéreux corpus philosophique et culturel " du siècle passé, le dix-neuvième, le siècle du peuple rêvé, de la promesse communautaire et des îles d'utopie, le siècle de la politique du futur qui avait ouvert le gouffre où le nôtre avait failli sombrer. L'attitude nouvelle de notre président-candidat était celle de qui a enfin compris la leçon, pris le tournant du siècle […] Une certaine idée de la fin de la politique s'énonce ainsi : séculariser la politique comme se sont sécularisées toutes les autres activités touchant à la production et à la reproduction des individus et des groupes ; abandonner les illusions attachées au pouvoir, à la représentation volontariste de l'art politique comme programme de libération et promesse de bonheur. Abandonner l'assimilation de la potestas politique à l'imperium de quelque idée, de quelque telos[1] du groupe ; la rapprocher de la puissance des activités sécularisées du travail, de l'échange et de la jouissance ; concevoir un exercice du politique synchrone avec les rythmes du monde, le bruissement des choses, la circulation des énergies, de l'information et des désirs : un exercice politique entièrement au présent, où le futur ne