Roland barthes
Ce qu’on appelle « nouvelle critique » ne date pas d’aujourd’hui. Dès la Libération (ce qui était normal), une certaine révision de notre littérature classique a été entreprise au contact de philosophies nouvelles, par des critiques fort différents et au gré de monographies diverses qui ont fini par couvrir l’ensemble de nos auteurs, de Montaigne à Proust. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un pays reprenne ainsi périodiquement les objets de son passé et les décrive de nouveau pour savoir ce qu’il peut en faire : ce sont là, ce devraient être des procédures régulières d’évaluation. Or voici que l’on vient brusquement d’accuser ce mouvement d’imposture, lançant contre ses œuvres (ou du moins certaines d’entre elles) les interdits qui définissent d’ordinaire, par répulsion, toute avant-garde : on découvre qu’elles sont vides intellectuellement, sophistiquées verbalement, dangereuses moralement et qu’elles ne doivent leur succès qu’au snobisme. L’étonnant est que ce procès vienne si tard. Pourquoi aujourd’hui ? S’agit-il d’une réaction insignifiante ? du retour offensif d’un certain obscurantisme ? ou, au contraire, de la première résistance à des formes neuves de discours, qui se préparent et ont été pressenties ? Ce qui frappe, dans les attaques lancées récemment contre la nouvelle critique, c’est leur caractère immédiatement et comme naturellement collectif. Quelque chose de primitif et de nu s’est mis à bouger là-dedans. On aurait cru assister à quelque rite d’exclusion mené dans une communauté archaïque contre un sujet dangereux. D’où un étrange lexique de l’exécution. On a rêvé de blesser, de crever, de battre, d’assassiner le nouveau critique, de le traîner en correctionnelle, au pilori, sur l’échafaud. Quelque chose de vital avait sans doute été touché, puisque l’exécuteur n’a pas été seulement loué pour son talent, mais remercié, félicité comme un justicier à la suite d’un nettoyage : on