Proust
L'AUMÔNIER. - C'est que tel que tu me vois, je me suis engagé dans une société d'hommes qu'on appelle dans mon pays des moines. Le plus sacré de leurs voeux est de n'approcher d'aucune femme et de ne point faire d'enfants.
OROU. - Que faites-vous donc ?
L'AUMÔNIER. - Rien.
OROU. - Et ton magistrat souffre cette espèce de paresseux, la pire de toutes ?
L'AUMÔNIER. - Il fait plus, il la respecte et la fait respecter.
OROU. - Ma première pensée était que la nature, quelque accident ou un art cruel vous avait privés de la faculté de produire votre semblable, et que par pitié on aimait mieux vous laisser vivre que de vous tuer. Mais, Moine, ma fille m'a dit que tu étais un homme et un homme aussi robuste qu'un Otaïtien, et qu'elle espérait que tes caresses réitérées ne seraient pas infructueuses. A présent que j'ai compris pourquoi tu t'es écrié hier au soir Mais ma religion ! mais mon état ! pourrais-tu m'apprendre le motif de la faveur et du respect que les magistrats vous accordent ?
L'AUMÔNIER. - Je l'ignore.
OROU. - Tu sais au moins par quelle raison, étant homme, tu t'es librement condamné à ne le pas être ?
L'AUMÔNIER. - Cela serait trop long et trop difficile à t'expliquer.
OROU. - Et ce voeu de stérilité, le moine y est-il bien fidèle ?
L'AUMÔNIER. - Non.
OROU. - J'en étais sûr. Avez-vous aussi des moines femelles ?
L'AUMÔNIER. - Oui.
OROU. - Aussi sages que les moines mâles ?
L'AUMÔNIER. - Plus renfermées, elles sèchent de douleur, périssent d'ennui.
OROU. - Et l'injure faite à la nature est vengée. Ô le vilain pays ! si tout y est ordonné comme ce que tu m'en dis, vous êtes plus barbares que nous.
Le bon aumônier raconte qu'il passa le reste de la journée à parcourir l'île, à visiter les cabanes, et que le