Proust
Pag. 9. Nous juxtaposons, dit Bergson, nos états de conscience de manière à les apercevoir simultanément ; non plus l´un dans l´autre mais l´un à côté de l´autre ; bref, nous projetons le temps dans l´espace.
Pag. 10 Si la pensée de Bergson dénonce et rejette la métamorphose du temps en espace, Proust non seulement s´en accommode mais s´y installe, la pousse à l´extrême et en fait finalement un des principes de son art. A la mauvaise juxtaposition, á l´espace intellectuel, condamné par Bergson, s´oppose une bonne juxtaposition, un espace esthétique, où, en s´ordonnant, les moments et les lieux forment l´œuvre d´art, ensemble mémorable et admirable.
Pag 11-12. Le roman proustien est très exactement une « recherche du temps perdu ». Un être se met en quête de son existence. Or, c´est dès le premier moment du récit que cette recherche commence. On y voit le héros, réveillé en pleine nuit, se demander à quelle époque de sa vie se rattache ce moment où il reprend conscience. Moment totalement deprouvu de rapport avec le reste de la durée ; moment suspendu en lui-même et profondément angoissé, parce que celui qui le vit, ne sait littéralement quand il vit. Perdu dans le temps, il est réduit à une vie toute momentanée.
Mais l´ignorance de ce dormeur réveillé est plus grave encore qu´il ne semble. S´il ne sait pas quand il vit, il ne sait pas non plus où il vit. Son ignorance n´est pas moindre quant à sa position dans l´espace que quant à sa situation dans la durée : « Et quand je m´éveillais au milieu de la nuit, comme j´ignorais où je me trouvais, je ne savais même pas au premier instant qui j´étais ».
Pag 15-16 : Or, ce vacillement, ce vertige, combien de fois ne le voit-on pas affecter le personnage proustien ! Cela lui arrive même quand il est éveillé et qu´un événement inattendu le trouble.C´est un tournoiement à la fois intérieur et extérieur, psychique. Mais ces moments de vertige ne sont pas