Le droit substitue au règne de la force celui de la justice. Les conflits entre les particuliers cessent de tourner à l'avantage du plus puissant; ils sont désormais arbitrés par des juges appelés à appliquer avec impartialité les lois. Cependant, si le droit doit être plus qu'un bel idéal, il faut qu'il s'impose dans un monde gouverné par la loi du plus fort. Il doit avoir la force nécessaire pour vaincre tout ce qui s'oppose à lui. Dès lors, n'est-il pas lui-même tributaire des forces grâce auxquelles il devient effectif? Ce qui se pare du nom de justice n'est-il pas alors l'intérêt d'un groupe particulier savamment — et peut-être inconsciem-ment — déguisé? Le droit est-il condamné à rester un idéal pour rester lui-même ou peut-il triompher sans se dénaturer? À quelles conditions peut-il être autre chose que l'expression de rapports de force? Pour Heidegger, le principe de raison étend sur tout sa puissance. Le principe de raison exige que raison soit rendue, qu'on livre la raison de toutes choses. Ce qui est puissant dans le principe le plus puissant, c'est le reddendum, c'est-à-dire l'appel à fournir la raison. Apparemment, le domaine de validité du prin¬cipe de raison est sans limite puisque nihil est sine ratione. Cette affii 'nation implique que l'existence de l'irrationnel est une pure abstraction. La question : «La raison peut-elle rendre raison de tout?» revient donc à se demander si l'irrationnel existe. Le principe de raison a-t-il raison de refuser son existence