Nouvelle
Elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche, folle mais pas désespérée, d’un simple jouet d’enfant, d’une poupée en chiffon, dans ce monde cruel et obscur qui était la guerre…
Elle avança lentement comme si on lui bloquait les jambes pour pas bouger, pour rester immobile. Sa fille, pourtant, la tira vers l’avant en criant :
« Je veux ma poupée. »
Alors, elles se mirent en marche en observant tout autour d’elles.
Elles la regardèrent dans les yeux, cette guerre. Les maisons éventrées, les arbres déchirés, les meubles lacérés, projetés en lambeaux dans la rivière noire qui charriait ces débris comme des cadavres d’une vie passée. Des photos flottaient, souvenirs violés du bonheur.
Tout était gris, noir mais aussi rouge… La boue était mêlée de sang. Ce n’était plus des pierres qui couvraient le sol, mais le reste des corps des martyrs tués. Verdun était muet et son silence se déchirait comme un voile au fracas sourd des balles tirées. Un rythme, cardiaque, irrégulier. Le cœur d’Emilienne dans le chaos des tirs. A chaque battement, un mort...
Par Fatigue, Emilienne déposa sa fille Lucienne par terre mais celle-ci hurla aussitôt :
-Non ! Ne me lâche pas, j’ai peur ! La terre est rouge, j’ai peur de m’y noyer !
Elle la releva, la mit sur son dos tout en tenant ses petites jambes qui faisaient à peine le tour de sa taille.
-Tu as perdu tes chaussures !
- Ce n’est pas grave, papa m’en achètera d’autres.
Hésitante, la mère lança un simple ‘’oui ‘’ suivi d’un long soupir ; puis avança, désespérée.
Elle repensa à son mari victime de cette guerre, elle pensa à Verdun avant cette catastrophe, elle se rappela sa vie, elle se demanda comment elle pourrait sauver sa fille et comment elle pourrait la protéger sans toit sur la tête... Perdue dans ses penses Lucienne lui déposa un tendre baiser sur la joue et dit :
-Maman pourquoi on nous tue ? Pourquoi mamie est-elle partie ? Et où-est Papa ?