L'ASSASSIN Le coupable était défendu par un tout jeune avocat, un débutant qui parla ainsi : M. Langlais, qui avait jusque-là fermé les yeux par bonté, par amitié pour son employé, ressentit en voyant son fils entre les mains, je devrais dire entre les bras de cette dangereuse créature, une colère bien légitime. Il eut le tort d'appeler immédiatement Lougère et de lui parler sous le coup de son indignation paternelle. Il ne me reste, messieurs, qu'à vous lire le récit du crime, fait par les lèvres mêmes du mourrant, Mr L'anglais: "Je venais d'apprendre que mon fils avait donné, la veille même, dix mille francs à cette femme, et ma colère a été plus forte que ma raison. Certes, je n'ai jamais soupçonné l'honorabilité de Lougère, mais certains aveuglements sont plus dangereux que des fautes. "Je le fis donc appeler près de moi et je lui dis que je me voyais obligé de me priver de ses services. "Il restait debout devant moi, effaré, ne comprenant pas. Il finit par demander des explications avec une certaine vivacité. "Je refusai de lui en donner, en affirmant que mes raisons étaient d'ordre tout intime. Il crut alors que je le soupçonnais d'indélicatesse, et, très pâle, m'adjura, me somma de m'expliquer. Parti sur cette idée, il était fort et prenait le droit de parler haut. "Comme je me taisais toujours, il m'injuria, m'insulta, arrivé à un tel degré d'exaspération que je craignais des voies de fait. "Or, soudain, sur un mot blessant qui m'atteignit en plein coeur, je lui jetai à la face la vérité. "Il demeura debout quelques secondes, me regardant avec des yeux hagards ; puis je le vis prendre sur mon bureau les longs ciseaux dont je me sers pour émarger certains registres, puis je le vis tomber sur moi le bras levé, et je sentis entrer quelque chose dans ma gorge, au sommet de la poitrine, sans éprouver aucune douleur."