Maulnes
Le Grand Meaulnes (1913)
LGF, 2008
Un nouveau, Augustin Meaulnes, accompagné de sa mère, arrive un jour d’automne pour devenir pensionnaire chez la mère du narrateur, François Seurel.
5
10
15
20
25
Nous étions debout tous les trois, le cœur battant, lorsque la porte des greniers qui donnait sur l’escalier de la cuisine s’ouvrit ; quelqu’un descendit les marches, traversa la cuisine, et se présenta dans l’entrée obscure de la salle à manger.
« C’est toi, Augustin ? » dit la dame.
C’était un grand garçon de dix-sept ans environ. Je ne vis d’abord de lui, dans la nuit tombante, que son chapeau de feutre paysan coiffé en arrière et sa blouse noire sanglée d’une ceinture comme en portent les écoliers. Je pus distinguer aussi qu’il souriait…
Il m’aperçut, et, avant que personne eût pu lui demander une explication :
« Viens-tu dans la cour ? » dit-il.
J’hésitai une seconde. Puis, comme Millie1 ne me retenait pas, je pris ma casquette et j’allai vers lui. Nous sortîmes par la porte de la cuisine et nous allâmes au préau, que l’obscurité envahissait déjà. À la lueur de la fin du jour, je regardais, en marchant, sa face anguleuse au nez droit, à la lèvre duvetée.
« Tiens dit-il, j’ai trouvé ça dans ton grenier. Tu n’y avais donc jamais regardé ? »
Il tenait à la main une petite roue en bois noirci ; un cordon de fusées déchiquetées courait tout autour ; ç’avait dû être le soleil ou la lune au feu d’artifice du Quatorze Juillet.
« Il y en a deux qui ne sont pas parties : nous allons toujours les allumer » dit-il d’un ton tranquille et l’air de quelqu’un qui espère bien trouver mieux par la suite.
Il jeta son chapeau par terre et je vis qu’il avait les cheveux complètement ras comme un paysan. Il me montra les deux fusées avec leurs bouts de mèche en papier que la flamme avait coupés, noircis, puis abandonnés.
© H A T I E R 2009
30
35
Il planta dans le sable le moyeu de la roue, tira de sa poche – à mon