Madame de lafayette
La Princesse de Clèves
1678
Le Duc de Nevers, dont [ 13 ]la vie était glorieuse par la guerre et par les grands emplois qu’il avait eus, quoique dans un âge un peu avancé, faisait les délices de la Cour. Il avait trois fils parfaitement bien faits ; le second qu’on appelait le Prince de Clèves, était digne de soutenir la gloire de son nom : il était brave et magnifique, et il avait une prudence qui ne se trouve guerres avec la jeunesse. Le Vidame de Chartres, descendu de cette [ 14 ]ancienne Maison de Vendôme, dont les Princes du Sang n’ont point dédaigné de porter le nom, était également distingué dans la guerre et dans la galanterie. Il était beau, de bonne mine, vaillant, hardie, libéral : Toutes ces bonnes qualités étaient vives et éclatantes, enfin, il était seul digne d’être comparé au Duc de Nemours, si quelqu’un lui eût pu être comparable. Mais ce Prince était un chef-d’œuvre de la nature ; ce [ 15 ]qu’il avait de moins admirable, était d’être l’homme du monde le mieux fait et le plus beau. Ce qui le mettait au-dessus des autres, était une valeur incomparable, et un agreement dans son esprit, dans son visage et dans ses actions, que l’on n’a jamais vu qu’à lui seul ; il avait un enjouement qui plaisait également aux hommes et aux femmes, une adresse extraordinaire dans tous ses exercices, une manière de [ 16 ]s’habiller qui était toujours suivie de tout le monde, sans pouvoir être imitée, et enfin, un air dans toute sa personne, qui faisait qu’on ne pouvait regarder que lui dans tous les lieux où il paraissait. Il n’y avait aucune Dame dans la Cour, dont la gloire n’eût été flattée de le voir attaché à elle : peu de celles à qui il s’était attaché se pouvaient vanter de lui avoir résisté, et même plusieurs à qui il n’avait point témoigné de [ 17 ]passion n’avoient pas laissé d’en avoir pour lui. Il avait tant de douceur et tant de disposition à la galanterie, qu’il ne pouvait refuser quelques soins à celles qui tâchaient de lui plaire·