L'Histoire est conçue par Musset comme la forme moderne de la fatalité. Loin des conceptions de Michelet faisant de l'Histoire le récit d'un combat pour la liberté, Musset nous donne un reflet caricatural de la révolution avortée après les Trois Glorieuses : Cosme, c'est Louis-Philippe, l'homme de la situation, celui qui a permis d'éviter la République. La mascarade du couronnement (V, 8) rappelle cette scène au cours de laquelle La Fayette embrasse le nouveau roi dans les plis du drapeau tricolore. Quant aux manœuvres du cardinal, elles correspondent à celles des députés modérés qui appelleront à leur secours le duc d'Orléans. Lorenzaccio entreprend une démystification du libéralisme bourgeois et proteste contre l'hypocrisie d'un régime, auto-déclaré d'abord comme régime de progrès et pressé ensuite de se retourner vers le passé. Mais le drame dépasse aussi son contexte politique pour dénoncer plus généralement la démission des intellectuels et ce qu'on appellerait aujourd'hui leur « langue de bois » : gavés de beaux discours et d'intentions humanistes, ils ne savent opposer à la dictature que la hauteur stérile de leur verbe et de leur vertu. A cette impuissance, Lorenzo répond par un pragmatisme sans illusions qui, de manière très moderne, substitue le faire à l'être. Cet « existentialisme » justifie qu'à propos de Lorenzaccio, on pense au théâtre de Sartre (Les Mains sales) ou de Camus (Les Justes). En ce sens le drame de Musset, ancré pour une part dans une certaine Histoire, la quitte néanmoins sur plus d'un aspect pour atteindre l'intemporel, ce qui explique la fortune de la pièce jusqu'à nos jours et la fertilité de ses diverses