Les monstres de monatigne essaiis 1595
566 mots
3 pages
Ce conte s’en ira tout simple, car je laisse aux medecins d’en discourir. Je vis avant hier un enfant que deux hommes et une nourrisse, qui se disoient estre le pere, l’oncle et la tante, conduisoyent pour tirer quelque sou de le montrer à cause de son estrangeté. Il estoit en tout le reste d’une forme commune, et se soustenoit sur ses pieds, marchoit et gasouilloit à peu pres comme les autres de mesme aage ; il n’avoit encore voulu prendre autre nourriture que du tetin de sa nourrisse ; et ce qu’on essaya en ma presence de luy mettre en la bouche, il le maschoit un peu, et le rendoit sans avaller ; ses cris sembloient bien avoir quelque chose de particulier ; il estoit aagé de quatorze mois justement. Au dessoubs de ses tetins, il estoit pris et collé à un autre enfant sans teste, et qui avoit le conduict du dos estoupé, le reste entier : car il avoit bien l’un bras plus court, mais il luy avoit esté rompu par accident à leur naissance ; ils estoient joints face à face, et comme si un plus petit enfant en vouloit accoler un plus grandelet. La jointure et l’espace par où ils se tenoient, n’estoit que de quatre doigts ou environ, en maniere que si vous retroussiez cet enfant imparfait, vous voyez au dessoubs le nombril de l’autre : ainsi la cousture se faisoit entre les tetins et son nombril. Le nombril de l’imparfaict ne se pouvoit voir, mais ouy bien tout le reste de son ventre. Voylà comme ce qui n’estoit pas attaché, comme bras, fessier, cuisses et jambes de cet imparfait, demouroient pendants et branlans sur l’autre, et luy pouvoit aller sa longueur jusques à my jambe. La nourrice nous adjoustoit qu’il urinoit par tous les deux endroicts ; aussi estoient les membres de cet autre nourris et vivans, et en mesme point que les siens, sauf qu’ils estoient plus petits et menus. Ce double corps et ces membres divers, se rapportans à une seule teste, pourroient bien fournir de favorable prognostique au Roy de maintenir sous l’union de ses loix ces pars et pieces