Les justes, l'attentat
Dire que j’ai compté les heures toute la nuit. J’en suis maintenant à compter les minutes, bientôt les secondes, avant que tout le poids qui pèse sur mes épaules soit libéré par la force de mon bras, qui lancera cette petite bombe, prête à abattre la vie d’un homme, mais à forger le destin d’un peuple. Je suis conscient que je tiens la mort dans ma main. C’est peut-être ce qui me poussera à la lancer de toutes mes forces. Je sais ce qui m’attend, je suis prêt. J’entends le bruit rapide des sabots qui cognent contre la pierre, mais je n’ose pas regarder. De toute façon, je sais qu’il est encore trop loin. Si je regarde, la haine s’emparera de moi et je pourrais être distrait. Je dois me concentrer sur le pas des chevaux, ensuite, quand je jugerai le moment opportun, je lèverai le regard, m’assurerai de l’identité de la personne dans la calèche, et je ferai ce que tous mes amis attendent de moi. Le bruit approche, ma main se resserre, mon corps absorbe toute l’énergie qu’il se gardait en réserve pour ce moment précis. Je dirige mon regard vers la fenêtre de la calèche. Il me voit et il me regarde droit dans les yeux. S’en suit un geste classique, que bien d’autres ont posé avant moi, duquel surgit du feu, du sang, des cris, de la peur. De la terreur, bien sûr. Moi, je cours pour me sauver de cette explosion, car ce n’est pas de cette façon que je suis sensé mourir. J’entends encore l’écho de ma bombe. J’en conclus alors que la deuxième n’a pas eu besoin de compléter mon acte. Un acte parfait, au moment parfait, qui aura des conséquences parfaites. Je ne me suis même pas retourné, je sais très exactement ce qui est arrivé. Le grand duc m’a vu élancer mon bras, il n’a pas comprit à l’instant même ce qui allait lui arriver. Il a vu la bombe surplomber la rue pleine de passants, et il a ensuite saisi l’endroit où elle atterrirait. Je sais qu’il est le seul à avoir été tué. L’intensité de la bombe réduirait le carrosse en miettes, tuerait le