Le sens d'une oeuvre d'art peut-il échapper à son créateur ?
A. Singularité de l’oeuvre d’art
Une oeuvre d’art est une réalité bien particulière. Elle bénéficie d’un prestige certain parmi l’ensemble des fruits de l’activité humaine. On la distingue notamment du produit de la technique au nom de sa valeur unique. Un appareil ménager rend des services très appréciables, mais il est remplaçable sans difficulté. Sa fonction utilitaire le destine d’ailleurs à s’user, donc à être changé. Une oeuvre d’art, à l’inverse, est conservée avec soin afin d’être offerte à l’admiration des générations. Cette attitude prouve que nous la créditons du pouvoir de défier le passage du temps. Il apparaît alors qu’elle possède la propriété étonnante d’être une source d’inspiration pour les générations qui succéderont à celle de son créateur. La Joconde en est l’exemple type. La fascination exercée par ce tableau ne se dément pas. Il fut l’objet de parodies, mais les transgressions ne font que confirmer son pouvoir.
B. La naissance du sens
Ce constat banal nous conduit à une question complexe. Comment naît le sens que nous donnons aux choses ? Reportons-nous au cas du langage verbal. Un mot par lui-même ne signifie rien. La signification provient d’un rapport entre les termes, codifié par la syntaxe de la langue. Nous obtenons la définition d’un mot grâce à d’autres vocables. La situation de l’art n’est pas différente. Tant que l’artiste n’a pas créé, nous ne pouvons comprendre ses intentions. Il s’adresse à nous par la médiation de son oeuvre, et celle-ci s’anime au contact de son public. « Le sens de ce que va dire l’artiste n’est nulle part, ni dans les choses qui ne font pas encore sens, ni en lui-même, dans sa vie informulée », écrit Merleau-Ponty dans Le Doute de Cézanne. Le sens n’est pas une chose fixe, mais la concrétisation d’un processus issu d’une rencontre entre une oeuvre et un auditoire dont la nature change selon
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