Le parlementarisme
P I E R R E AV R I L
L A M A J O R I T É PA R L E M E N TA I R E ?
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OUS LA IV e RÉPUBLIQUE, la majorité parlementaire correspondait
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à un agrégat sans consistance, elle ne désignait pas une structure mais l’addition des députés qui avaient voté l’investiture du chef du gouvernement. Les contours de cet ensemble flou se déplaçaient au gré de la conjoncture et des enjeux ; on rejoignait la majorité et on la quittait d’autant plus facilement que les transgressions étaient sans conséquence, sinon sur la stabilité des ministères. Cette figure incertaine persista sous la I re législature de la V e République, durant laquelle la droite approuvait la politique économique et sociale que combattait la gauche, tandis que celle-ci soutenait la politique algérienne qui répugnait de plus en plus à la droite ; le gouvernement ne pouvait compter que sur le groupe gaulliste qui détenait ce que l’on appellera trente ans plus tard la « majorité relative », mais la défection finale du MRP provoqua le vote de censure du 5 octobre 1962 et la dissolution qui s’ensuivit. De cet affrontement sortit un nouveau concept de majorité qui était presque sans rapport avec l’ancien, puisque la majorité se présente désormais comme une entité durable et cohérente 1. Si elle repose toujours sur une coalition, cette coalition est déterminée par le vote des électeurs, au lieu de l’être a posteriori par les négociations des étatsmajors ; elle a pour vocation explicite de soutenir fidèlement le gouvernement pendant la durée de la législature ; elle est enfin pourvue de frontières à la fois intangibles et infranchissables : on est dedans ou on est dehors (les centristes devaient l’apprendre à leurs dépens). A cet
1. Pour une analyse des diverses acceptions du terme de « majorité », on se reportera à l’étude très complète de Jean-Marie Denquin, « Recherches sur la notion de majorité sous la V e République », Revue du droit public, 1993, p. 949.
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