Le baiser au lépreux
Jean Péloueyre, étendu sur son lit, ouvrit les yeux. Les cigales autour de la maison crépitaient. Comme un liquide métal, la lumière coulait à travers les persiennes. Jean Péloueyre, la bouche amère, se leva. Il était si petit que la glace du trumeau1 refléta sa pauvre mine, ses joues creuses, un nez long, au bout pointu, rouge et comme usé, pareil à ces sucres d'orge qu'amincissent, en les suçant, de patients petits garçons. Les cheveux ras s'avançaient en angle aigu sur son front déjà ridé : une grimace découvrit ses gencives, des dents mauvaises. Bien que jamais il ne se fût tant haï, il s'adressa à lui-même de pitoyables paroles : « Sors, promène-toi, pauvre Jean Péloueyre ! » et il caressait de la main une mâchoire mal rasée. Mais comment sortir sans éveiller son père ? Entre une heure et quatre heures, M. Jérôme Péloueyre exigeait un silence solennel : ce temps sacré de son repos l'aidait à ne pas mourir de nocturnes insomnies. Sa sieste engourdissait la maison : pas une porte ne devait se fermer ni s'ouvrir, pas une parole ni un éternuement troubler le prodigieux silence à quoi, après dix ans de supplications et de plaintes, il avait dressé Jean, les domestiques, les passants eux-mêmes accoutumés, sous ses fenêtres, à baisser la voix. Les carrioles évitaient, par un détour, de rouler devant sa porte. En dépit de cette complicité autour de son sommeil, à peine éveillé, M, Jérôme en accusait un choc d'assiettes, un aboi, une toux. Etait-il persuadé qu'un absolu silence lui eût assuré un repos sans fin relié à la mort comme à l'Océan un fleuve ? Toujours mal réveillé et grelottant même durant la canicule, il s'asseyait avec un livre près du feu de la cuisine. Son crâne chauve reflétait la flamme. Cadette vaquait à ses