POUR UNE THÉORIE DU DISCOURS DIPLOMATIQUE par Constanze VILLAR (*) Le discours diplomatique a mauvaise réputation : il est dit banal et euphémique, langue de bois ou mensonger. Les guides de diplomatie ne martèlent-ils pas à satiété qu’«un ambassadeur est un honnête homme qui est envoyé à l’étranger afin d’y mentir pour le bien de son pays» (1)? Les diplomates sont inutiles, sauf «par beau temps fixe. Dès qu’il pleut, ils se noient dans chaque goutte» (2). Que font-ils entre deux cocktails (3)? Ne sont-ils pas un «anachronisme»? Pourquoi ne pas supprimer les ambassades (4)? L’Etat d’ailleurs serait «de plus en plus concurrencé par des organisations et des groupes échappant à son contrôle» (5). Pourtant, on se bat pour chaque mot (6), on reproche le franc-parler (7). En relations internationales, la rhétorique fait-elle vraiment une différence (8)? Pour y répondre, il suffit d’évoquer deux exemples qui ont changé la face du monde : la décolonisation et l’effondrement du bloc de l’Est. Inis L. Claude a
(*) Chercheur au Centre d’analyse politique comparée, de géostratégie et de relations internationales (CAPCGRI) de l’Université Bordeaux-IV – Montesquieu (France). Cet article est tiré de la thèse Eléments pour une théorie du discours diplomatique, soutenue en décembre 2003 à l’Université Bordeaux-IV. (1) «Legatus est vir bonus, peregre missus ad mentiendum republicae causa», citation rapportée (d’après Logan Pearsall Smith, Life and Letters of Sir H. Wotton, Oxford, 1907) par de nombreux guides de diplomatie, notamment Ernest M. Satow, A Guide to Diplomatic Practice, Longmans, Green and Co., Londres/ New York/Toronto, 1958 (5e éd.), p. 132; Baron J. de Szilassy, Traité pratique de diplomatie moderne, Payot, Paris, 1928, p. 43; Harold Nicolson, Diplomatie, Ed. de la Baconnière, Neuchâtel, 1948, p. 39; Pietro Gerbore, Formen und Stile der Diplomatie, Rowohlt, Hambourg, 1964, p. 13; Jörg von Uthmann, Die Diplomaten. Affären und Staatsaffären von den Pharaonen bis zu