La staue de sel
Publié en 1953, roman à teneur autobiographique, La statue de sel met en scène un double d’Albert Memmi, le jeune Alexandre Mordekhaï Benillouche – qui est comme son créateur le résultat d’un enchevêtrement d’identités multiples, dès sa naissance et sous le poids de sa trajectoire : « indigène dans un pays de colonisation, juif dans un univers antisémite, Africain dans un monde où triomphe l’Europe », son identité, comme handicapée, se complexifie sous l’effet de remèdes trompeurs. Lacéré par cette « impossibilité d’être quoi que ce soit de précis pour un juif tunisien de culture française » (Albert Camus, préface), l’homme en devenir tente de se définir – depuis l’enfance et les abords du ghetto juif de Tunis, jusqu’à l’âge adulte et une écriture voulue salvatrice : « pour m’alléger du poids du monde, je le mis sur le papier ».
L’histoire de La statue de sel est celle d’une puissante mais leurrante volonté de rompre. Rompre avec les traditions de la communauté juive tunisoise, avec des superstitions détestées (peut-on toucher à un interrupteur électrique le jour du Sabbat ?), avec des parents dont on a honte (« cette bédouine » de mère berbère), avec la pauvreté – bref, avec l’Orient. Tendre les bras à l’Occident, à l’école en français (un « dépaysement »), à la bourgeoisie et à ses ambitions. Et rompre à nouveau, face aux trahisons d’un Occident dont l’universalisme voile le mépris, et dont le colonialisme est le cancer. Y croire… et rompre encore, et se briser à chaque étape : « chaque fois s’écroulait une partie de moi. »
Tendre vers l’Europe, ses professeurs, son savoir et sa culture – mais se redécouvrir oriental, un jour, pris de colère ambiguë face à la danse extatique et rituelle d’une mère méconnaissable : « après quinze ans de culture occidentale, dix ans de refus conscient de l’Afrique, peut-être faut-il que j’accepte cette évidence : ces vieilles mesures monocordes me