la neige de Vigny
Qu'il est doux, qu'il est doux d'écouter des histoires,
Des histoires du temps passé,
Quand les branches d'arbres sont noires,
Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé !
Quand seul dans un ciel pâle un peuplier s'élance,
Quand sous le manteau blanc qui vient de le cacher
L'immobile corbeau sur l'arbre se balance,
Comme la girouette au bout du long clocher !
Ils sont petits et seuls, ces deux pieds dans la neige.
Derrière les vitraux dont l'azur le protège,
Le Roi pourtant regarde et voudrait ne pas voir,
Car il craint sa colère et surtout son pouvoir.
De cheveux longs et gris son front brun s'environne,
Et porte en se ridant le fer de la couronne ;
Sur l'habit dont la pourpre a peint l'ample velours
L'empereur a jeté la lourde peau d'un ours.
Avidement courbé, sur le sombre vitrage
Ses soupirs inquiets impriment un nuage.
Contre un marbre frappé d'un pied appesanti,
Sa sandale romaine a vingt fois retenti.
Est-ce vous, blanche Emma, princesse de la Gaule ?
Quel amoureux fardeau pèse à sa jeune épaule ?
C'est le page Eginard, qu'à ses genoux le jour
Surprit, ne dormant pas, dans la secrète tour.
Doucement son bras droit étreint un cou d'ivoire,
Doucement son baiser suit une tresse noire,
Et la joue inclinée, et ce dos où les lys
De l'hermine entourés sont plus blancs que ses plis.
Il retient dans son coeur une craintive haleine,
Et de sa dame ainsi pense alléger la peine,
Et gémit de son poids, et plaint ses faibles pieds
Qui, dans ses mains, ce soir, dormiront essuyés ;
Lorsqu'arrêtée Emma vante sa marche sûre,
Lève un front caressant, sourit et le rassure,
D'un baiser mutuel implore le secours,
Puis repart chancelante et traverse les cours.
Mais les voix des soldats résonnent sous les voûtes,
Les hommes d'armes noirs en ont fermé les routes ;
Eginard, échappant à ses jeunes liens,
Descend des bras d'Emma, qui tombe dans les siens.
II
Un grand trône, ombragé des drapeaux