La france en voie de canadianisation
Olivier Kemeid
On se souviendra peut-être du numéro 270 de Liberté où l’on posait la question suivante : Paris se montréalise-t-il ? Si le titre évoquait à la fois une ironie et une provocation évidentes, je peux affirmer que l’éventuelle « canadianisation » de la France est un spectre réel qui n’est pas loin d’effrayer une partie de la communauté artistique française. La première scène de cette tragicomédie débute à Avignon, joli lieu pour une scène d’exposition, dans une chartreuse aux vieilles pierres encore debout, qui semblent avoir résisté à toutes les intempéries, dont la Grande Peste de 1348, la Révolution française et l’avènement de la société des loisirs. Je suis tranquillement installé à la table d’une terrasse ombragée, je sirote une bière, puis mon hôte du Centre national des écritures du spectacle vient me rejoindre, l’air troublé. Il a dans ses mains la copie de la lettre d’intention du président de la République française adressée à sa ministre de la Culture, Christine Albanel. Il me la tend fièvreusement et, avant que je ne puisse y jeter un coup d’œil, me demande, plus qu’inquiet, ce qui s’est passé au Canada dans les années 1990. Amusé par cette question quelque peu saugrenue, je ne comprends pas. Il me pointe la lettre. Il ne sera pas le seul à être alarmé; par la suite, nombreux seront les Français liés au domaine culturel qui viendront me voir, apeurés par ce qui leur est dessiné comme leur futur, c’est-à-dire notre présent. C’est que, depuis la peste bubonique, cette chartreuse et tous les lieux culturels de France et de Navarre n’ont jamais couru un aussi grand risque.
La lettre de mission
Quel est donc le contenu de cette lettre de mission? Et comment se fait-il que nous n’en ayons pas eu vent chez nous, alors que la référence au « Canada du milieu des années 90 » y est présentée comme un modèle indépassable par Nicolas Sarkozy? Attardons-nous quelques instants sur ce concept de « lettre