La bureaucratie
Marc Mousli
Alternatives Economiques n° 258 - mai 2007
Fondateur de la sociologie française des organisations, Michel Crozier a étudié les relations des acteurs au sein des systèmes grâce à une méthode originale, celle de l'analyse stratégique.
Michel Crozier est né en 1922, dans la même décennie que les meilleurs sociologues du monde du travail au XXe siècle. Son nom restera attaché aux employés de bureau, comme celui d'Alain Touraine l'est aux ouvriers ou celui d'Henri Mendras aux paysans. Fils d'un petit entrepreneur de la banlieue parisienne, son enfance est heureuse. Excellent élève, il refuse de faire une prépa scientifique pour intégrer une grande école d'ingénieurs. Il préférerait Sciences Po, mais son père est réticent devant cette institution, qui a la réputation d'une école snob. Après négociation, il intègre HEC, sans enthousiasme.
Son diplôme en poche, le jeune homme veut préparer une thèse. Il choisit comme sujet les syndicats américains et part, en 1947, faire son enquête aux Etats-Unis. Il parcourt le pays d'est en ouest, rencontre tous les syndicalistes influents et travaille avec Daniel Guérin, militant libertaire et spécialiste de la gauche américaine. Il est séduit par le pays, la simplicité des relations avec les Américains, la liberté de ton, la facilité pour un jeune étudiant français d'accéder à des gens considérés comme importants.
Après ce premier séjour outre-Atlantique, il revient chez ses parents pour écrire sa thèse, qu'il soutient en 1949 et publie, deux ans plus tard, sous le titre Usines et syndicats d'Amérique. L'Amérique tiendra une place de choix dans sa vie, mais il ne réussira jamais à sauter le pas et à s'y installer définitivement. Des universités aussi prestigieuses que Stanford, Harvard ou Irvine (l'un des campus de l'université de Californie, dans le Comté d'Orange, au sud de Los Angeles) l'accueilleront pendant des périodes plus ou moins longues. Il reconnaît que la vie