Moi je ne suis plus dans le jeu. C’est pour cela que je suis libre de venir vous dire ce que la pièce ne pourra vous dire. Dans de pareilles histoires, ils ne vont pas s’interrompre de se tuer et de se mordre pour venir vous raconter que la vie n’a qu’un but, aimer. Ce serait même disgracieux de voir le parricide s’arrêter, le poignard levé, et vous faire l’éloge de l’amour. Cela paraîtrait artificiel. Beaucoup ne le croiraient pas. Mais moi qui suis là, dans cet abandon, cette désolation, je ne vois vraiment pas ce que j’ai d’autre à faire ! Et je parle impartialement. Jamais je ne me résoudrai à épouser une autre qu’Électre, et jamais je n’aurai Électre. Je suis créé pour vivre jour et nuit avec une femme, et toujours je vivrai seul. Pour me donner sans relâche en toute saison et occasion, et toujours je me garderai. C’est ma nuit de noces que je passe ici, tout seul, – merci d’être là, – et jamais je n’en aurai d’autre, et le sirop d’oranges que j’avais préparé pour Électre, c’est moi qui ai dû le boire ; – il n’en reste plus une goutte, c’était une nuit de noces longue. Alors qui douterait de ma parole ! L’inconvénient est que je dis toujours un peu le contraire de ce que je veux dire, mais ce serait vraiment à désespérer aujourd’hui, avec un cœur aussi serré et cette amertume dans la bouche, – c’est amer, au fond, l’orange, – si je parvenais à oublier une minute que j’ai à vous parler de la joie. Joie et Amour, oui. Je viens vous dire que c’est préférable à Aigreur et Haine. Comme devise à graver sur un porche, sur un foulard, c’est tellement mieux, ou en bégonias nains dans un massif. Évidemment, la vie est ratée, mais c’est très, très bien, la vie. Évidemment rien ne va jamais, rien ne s’arrange jamais, mais parfois avouez que cela va admirablement, que cela s’arrange admirablement… Pas pour moi… Ou plutôt pour moi !… Si j’en juge d’après le désir d’aimer, le pouvoir d’aimer tout et tous, que me donne le plus grand malheur de la vie, qu’est-ce que cela doit