Gustave flaubert
La fumée des herbes que l'on brûle à l'automne montait doucement dans un ciel gris, et l'horizon bordé de collines était plein de pâles vapeurs blanches ; il marchait, et pas un autre bruit n'arrivait à ses oreilles.
Sa pensée seule lui parlait tandis que ses yeux couraient au hasard sur les sentiers qui serpentent, sur la rivière qui coule, sur les buissons du bord de la route, et sur les longs sillons paisibles d'où s'envolaient à son approche les corneilles au cri rauque et doux.
Combien de fois n'avait-il pas vu cette même campagne, et sous tous ses aspects, dans toutes les saisons, éclatante de soleil, couverte de neige, les arbres en fleurs, les blés mûrs, le matin à la rosée, le soir quand on rentre les troupeaux, et presque aussi à tous les âges de sa vie, à toutes les phases de son coeur, gai, triste, joyeux ou désespéré ; d'abord enfant, au collège, quand il se promenait seul a l'écart des autres en rêvant, sur la lisière des bois ; puis, adolescent qui s'ouvre a la vie, humant le parfum des genêts, étendu sur la mousse comme sur un lit et tressaillant d'ivresse aux tièdes baisers de la brise qui lui passait sur la figure; ou bien avec Henry, marchant dans l'herbe mouillée, causant de tout, ne regardant rien ; ou encore seul et grave, quand il venait contempler la verdeur de la verdure et la splendeur du jour, pour se pénétrer l'esprit du gazouillement du ruisseau sur les cailloux, du bruit des charmes, du bêlement des chèvres, de la figure des fleurs, des formes des nuages, des teintes décroissantes de la lumière, pour comprendre toute cette harmonie et en étudier les accords.
Tous ces arbres avaient reçu ses regards, soit sereins et purs, soit sombres et voilés de larmes ; il