gaston biron

363 mots 2 pages
Samedi 25 mars 1916 (après Verdun)

Ma chère mère,

(…) Par quel miracle suis-je sorti de cet enfer, je me demande encore bien des fois s’il est vrai que je suis encore vivant ; pense donc, nous sommes montés mille deux cents et nous sommes redescendus trois cents ; pourquoi suis-je de ces trois cents qui ont eu la chance de s’en tirer, je n’en sais rien, pourtant j’aurais dû être tué cent fois, et à chaque minute, pendant ces huit longs jours, j’ai cru ma dernière heure arrivée. Nous étions tous montés là-haut après avoir fait le sacrifice de notre vie, car nous ne pensions pas qu’il fût possible de se tirer d’une pareille fournaise. Oui, ma chère mère, nous avons beaucoup souffert et personne ne pourra jamais savoir par quelles transes et quelles souffrances horribles nous avons passé. A la souffrance morale de croire à chaque instant la mort nous surprendre viennent s’ajouter les souffrances physiques de longues nuits sans dormir : huit jours sans boire et presque sans manger, huit jours à vivre au milieu d’un charnier humain, couchant au milieu des cadavres, marchant sur nos camarades tombés la veille ; ah ! J’ai bien pensé à vous tous durant ces heures terribles, et ce fut ma plus grande souffrance que l’idée de ne jamais vous revoir. Nous avons tous bien vieilli, ma chère mère, et pour beaucoup, les cheveux grisonnants seront la marque éternelle des souffrances endurées ; et je suis de ceux-là. Plus de rires, plus de gaieté au bataillon, nous portons dans notre coeur le deuil de tous nos camarades tombés à Verdun du 5 au 12 mars. Est-ce un bonheur pour moi d’en être réchappé ? Je l’ignore mais si je dois tomber plus tard, il eût été préférable que je reste là-bas. Tu as raison de prier pour moi, nous avons tous besoin que quelqu’un prie pour nous, et moi-même bien souvent quand les obus tombaient autour de moi, je murmurais les prières que j’ai apprises quand j’étais tout petit, et tu peux croire que jamais prières ne furent dites avec plus de ferveur.

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