francaise
Quand il avait constaté la disparition du vélo et des tissus, il avait senti se creuser en lui un vide immense, ç'avait été le noir intégral. Il y avait eu comme un court-circuit dans son cerveau. Tout chancelait, tout titubait, tout chavirait autour de lui, en lui. Il étouffait, comme si l'air s'était raréfié. Il sentait presque physiquement peser sur ses épaules le poids de sa destinée. Les sentiments qu'il éprouvait n'étaient pas des sentiments clairs de colère, de frustration, d'impuissance ou de révolte. Tout était inextricablement enchevêtré, mêlé. Il était l'incarnation même de l'homme vomi, l'homme honni, l'homme banni. Ces deux dernières années, il avait suffisamment travaillé pour mériter assez de pain pour une durée d'homme, mais le spectre de la misère l'avait suivi à la trace, comme un chasseur tenace traque un animal blessé. Depuis ce matin de décembre où on lui avait remis cette lettre ambiguë de suspension, il avait traîné nuit et jour sa vie de fatalité comme un bagnard traîne son boulet. Partout où il était allé, partout où il avait cru pouvoir trouver un peu de pain, un peu d'amitié, un peu de chaleur humaine, partout il avait vu l'échec courir à ses trousses comme un chien fidèle s'attache aux pas de son maître. C'est ainsi qu'il était tombé progressivement, inexorablement, tentant désespérément à toutes les étapes de s'accrocher aux branches qui cédaient et l'accompagnaient dans sa chute vertigineuse.
On eut dit qu'il y avait un incendie en lui, car la sueur ruisselait abondamment sur tout son corps, trempant sa chemise. Que va faire le Syrien ? L' accuser d'avoir volé le vélo et les tissus ? Appeler la police ? Le faire jeter en prison ? Que vont devenir sa femme et ses enfants ?
C'étaient là autant de questions brûlantes qui se pressaient dans l'esprit d'Adama.
Pierre-Claver ILBOUDO,
Adama ou la Force des choses, Paris, Présence africaine, 1987.
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